« J’aime aider les autres, c’est toujours de ta faute !, je suis le bouc émissaire, c’est trop injuste, les autres passent toujours avant moi, je suis nul et inférieur aux autres, j’ai peur d’être seul, je n’existe qu’à travers les autres », rabaissé, manipulé, pervers-narcissique, besoin de me sentir utile, … Tant de situations dans lesquelles tout paraît normal. Et pourtant, est-ce vraiment « normal » de jouer des rôles et d’avoir des masques avec les autres ? Pourquoi existe-t-il des situations dans lesquelles il doit y avoir un dominé et un dominant ou une victime et un bourreau ? Et que faire de toutes ces personnes qui veulent tellement bien faire, sans jamais recevoir de la reconnaissance ou ni même un simple « Merci » ? Serait-il possible d’être le même avec et sans les autres ? Certains diront qu’il est nécessaire d’avoir comme un bouclier pour faire face aux autres, d’où les fameux « masques ». Vous savez, lorsqu’on vous demande au boulot « Ça va ? » et que bien sûr la réponse que vous donnez, à chaque fois, est « Oui ! », avec votre plus beau « sourire jaune » pour camoufler votre état réel… Quelle superbe façade extérieure ! Pourquoi devoir se protéger tout le temps des autres ? En fait, qu’est-ce que c’est « être soi-même » ? Vous connaissez-vous vraiment vous-même ? En effet, aujourd’hui, les comportements humains s’articulent souvent autour d’un jeu de rôles psychologique, et plus précisément autour de 3 rôles articulés dans un triangle, qui s’appelle « le triangle de Karpman ». Cette figure, issue de l’analyse transactionnelle, a été mise en lumière par le psychanalyste américain Stephen Karpman en 1968 dans son article « Fairy Tales and script drama analysis ». L’idée principale est que pour que l’un de ces rôles existe, il est obligatoirement nécessaire de trouver une personne qui aura le rôle complémentaire.  

Les 3 rôles : la victime, le sauveur, le bourreau/persécuteur

La victime est celle qui sollicite le sauveur et le persécuteur. Son but est d’attirer les autres vers elle afin de se sentir vivante à travers l’attention qu’elle reçoit. La victime ne pourra exister qu’à travers l’autre : elle n’est pas vraiment sûre d’elle (peu de confiance en soi), ses goûts, ses choix et ses décisions changent en fonction des situations, des moments et des personnes (estime de soi très faible) et elle peut même ressentir un très grand vide intérieur lorsqu’elle est seule (amour propre proche de zéro). Si elle n’est pas contente, elle pourra alors se transformer en bourreau et son sauveur deviendra sa victime. Le sauveur cherche une victime et attend un persécuteur pour justifier son existence. Il a besoin de gratifications régulières et constantes afin d’être comblé. Il fait en sorte de placer sa victime en incapacité d’agir par elle-même, il ne veut surtout pas qu’elle soit autonome au risque de ne plus avoir le droit d’être là pour la sauver et donc de ne plus exister. Quelquefois, il ira même jusqu’à chercher activement les compliments. S’il n’est pas content, le sauveur peut devenir le bourreau de sa victime. Et s’il fait mal les choses, il pourra devenir la victime et sa victime deviendra le bourreau. Le bourreau cherche une victime pour exister et libérer ses pulsions agressives. Il aura besoin de détruire quelqu’un et de la mettre plus bas que terre pour constater qu’il y a plus mauvais que lui-même et ainsi être soulagé. Si la victime est trop faible, il deviendra alors le sauveur pour permettre à sa victime de retrouver ses forces et son énergie pour mieux recommencer plus tard. C’est le cycle infernal des femmes battues et du pervers narcissique… Il y a toujours l’espoir que le « gentil » soit de retour et donc que cela aille mieux. Mais le « méchant » revient tout le temps… Lorsque le persécuteur veut mettre en place une relation avec une victime potentielle, il peut se heurter à deux réactions : soit son interlocuteur devient sa victime et la dépendance affective se met en place, soit l’interlocuteur ne se laisse pas faire et le schéma ne s’installe pas. Le persécuteur peut être une maladie ou une addiction. C’est cet élément qui peut pousser une personne à se positionner en victime. Comme le bourreau a une très faible estime de lui-même, il ne fera que compenser un manque intérieur.  

Problème ?

Le problème avec le sauveur est que, même s’il a de bonnes intentions, il ne laisse pas l’autre faire ses propres tests et il agit sans même se préoccuper des besoins réels de l’autre. Il impose son aide, sa présence et ses idées. En réalité, il fragilise la victime. Par manque de reconnaissance, le sauveur pourrait devenir victime pour se plaindre ou persécuteur pour se venger… Le problème de la victime est qu’elle se laisse diriger, elle reste passive et évite ses responsabilités face à ses choix. De manière plus subtile, elle peut devenir victime d’une maladie ou d’un handicap pour éviter d’affronter la réalité. Le problème du persécuteur est sa fragilité. Tout ce qu’il reproche aux autres est en fait ce qu’il fuit lui-même. Il se rigidifie pour donner l’impression d’être indestructible alors qu’en réalité, il est sensible, blessé et pétrifié dans sa relation avec l’autre. Il peut arriver que les rôles soient inversés : le persécuteur est dirigé par la victime, qui a en fait le rôle du persécuteur. Finalement, comme personne ne se respecte soi-même, aucun des acteurs n’est respecté. La relation établie est donc automatiquement toxique pour tout le monde sur le court, moyen et long terme.  

Points communs :

Les 3 rôles ont tous la même construction intérieure :
  • Absence de confiance en soi
  • Estime de soi très faible
  • Image et amour de soi très réduits
Il s’agit donc d’une recherche perpétuelle d’exister pour venir combler un manque intérieur, qui ne pourra être rempli que par soi-même. C’est donc une addiction relationnelle et comportementale qui peut bien sûr se résoudre avec un travail de fond.  

Pourquoi ce triangle existe-t-il ?

Dans notre culture, la connaissance de soi n’est malheureusement pas encore un cours à l’école, même si, selon moi, on devrait l’avoir en CP. De ce fait, cette méconnaissance crée des vides, des failles et des blessures dans notre personnalité et, de part, notre éducation, nous avons appris à aller chercher les réponses à nos besoins à l’extérieur de nous-même… et dans notre cas, chez l’autre. Et comme toute addiction, les actions entreprises individuellement ne viennent combler le vide qu’en surface et de manière superficielleC’est ainsi que la dépendance se crée. L’autre pourra alors exploiter aisément cette méconnaissance à son avantage. Pour stopper la tendance, il sera alors nécessaire d’apprendre à mieux se connaître soi-même, à travers, par exemple, le développement personnel.  

Comment sortir de ce schéma :

Lorsque ce triangle est en place et est néfaste pour les acteurs, il est important de pouvoir en sortir pour que tous les protagonistes puissent retrouver leur indépendance et leur bien-être personnel. Attention : lorsque vous déciderez de sortir de ce triangle, l’autre ne voudra pas que vous changiez cette dynamique (c’est normal car vous comblez son vide intérieur) et de ce fait, il vous attaquera sur vos faiblesses pour surtout vous culpabiliser et vous forcer à maintenir la relation. Donc, l’astuce est de vous couper de l’autre rapidement et durablement en vous recentrant sur vous-même.  

Pour sortir de ces rôles :

1- Observation : prendre du recul sur la situation et analyser les rôles de chacun (y compris le sien) 2- Évaluation : savoir si la situation est négative pour quelqu’un (y compris pour soi-même) 3- Décision : rétablir l’équilibre des relations en amenant tous les acteurs à :

a) Communiquer pour apprendre à se connaître et se comprendre

b) Accepter d’être eux-mêmes : « Se respecter soi-même, c’est respecter l’autre ! »

c) Chercher une éthique et un partage relationnel axés sur le bien-être mutuel et l’équité afin de créer un lien sein et positif

4- Guérison : Prendre soin de soi pour se reconstruire et apprendre à être égoïste dans le bon sens : « Etre bien dans sa peau permet d’être bien avec les autres ! » Il existe aussi un triangle complémentaire : le triangle « TEDThe Empowerment Dynamic » = La Dynamique de Valorisation. C’est le psychanalyste américain Acey Choy qui, en 1990, a décrit, dans son article « The Winner’s triangle », un modèle thérapeutique de comportements afin de pouvoir sortir des relations de dépendance. Il recommande à la victime d’adopter le rôle de « Créateur », au bourreau le rôle de « Challenger » et au sauveur le rôle de « Coach » :
  • Victime-Créateur : s’axer sur les résultats obtenus plutôt que sur les problèmes et prendre ses responsabilités pour faire ses propres choix et progresser vers ce qu’il veut
  • Bourreau-Challenger : encourager l’autre à avancer vers ce qu’il souhaite = lancer des défis lui montrer ses faiblesses et ses erreurs
  • Sauveur-Coach : poser des questions pour s’intéresser à l’autre et considérer l’autre comme étant capable de résoudre ses propres difficultés = croire en lui être directif, l’aider et faire les choses à sa place
 

Exercice pour sortir de ce schéma

Concrètement, pour sortir du triangle de Karpman, vous pouvez procéder à l’exercice suivant :

Mode d’emploi :

  1. Lisez en entier une première fois tout l’exercice pour l’avoir en tête. Si besoin, lisez-le et enregistrez-vous ;
  2. L’exercice commence par la création, dans votre imagination, d’une tour d’observation pour prendre du recul ;
  3. Puis, créer et mettre à jour un tableau de bord pour représenter votre fonctionnement et vos liens avec les autres ;
  4. Ensuite, vous allez procéder à la guérison de vos blessures ;
  5. Pour enfin, programmer les nouveaux liens que vous voulez créer avec les autres.

Exercice :

0- Préparation + détente : Définissez une durée précise (ex : 15min) et un objectif précis (ex : faire évoluer mes relations avec les autres, reprendre confiance en moi, ..). Installez-vous dans un endroit calme, dans une posture agréable et fermez les yeux. Prenez 5 grandes respirations profondes pour vous détendre et relâcher votre corps. 1- Construisez votre tour + prenez du recul : Commencez par imaginer une tour d’observation sur laquelle vous pouvez grimper pour vous y installer. Cette tour peut être aussi une montagne, un arbre, une maison, une cabane, un immeuble, … tout ce qui vous permet de prendre de la hauteur. Une fois construite, installez-vous tout en haut et profitez de la vue : respirez tranquillement, prenez votre temps, contemplez, savourez, lâchez-vous, libérez-vous ! Vous êtes en sécurité car c’est vous qui pilotez tout ce qui se passe en vous. Soyez juste à l’écoute de vous-même. 2- Tableau de bord + liens : Maintenant, imaginez un tableau de bord qui, à l’image de votre fonctionnement personnel, est la représentation symbolique de votre personnalité. Concevez-le dans ses moindres détails. Observez tous les liens que vous avez pu tisser avec votre environnement : frères, sœurs, parents, amis, … Vous allez ensuite mettre à jour ce tableau de bord : peut-être enlever certains morceaux inutiles, défaire certains liens et garder ce qui est nécessaire pour vous. Astuce : garder une façade extérieure pour avoir un bouclier face à votre interlocuteur (sauveur ou bourreau), qui aura tendance à essayer de vous culpabiliser pour maintenir la relation. 3- Guérison : en vous, il y a des failles et des faiblesses qui vous ont amené à vous mettre dans ce triangle. Donc, pour stopper cette mécanique, il est temps de procéder à la cicatrisation de toutes vos blessures par vous-même. Si si, vous pouvez le faire et tout va bien se passer ! Dans votre tableau, repérez les morceaux qui sont abîmés, cassés, déchirés, … et procédez à leur réparation. Faites-le pour tous les morceaux qui en ont besoin. Prenez autant de temps que nécessaire. 4- Futur : pour finir, dans votre nouveau tableau de bord, vous allez maintenant pouvoir programmer vos nouveaux comportements, créer des nouveaux liens, imaginer les nouvelles habitudes que vous allez mettre en place, les nouvelles manières de vous faire des nouvelles relations, … En somme, programmer le futur qu’il vous plaît et imaginer les actions à faire pour le concrétiser ! Et enfin, vous allez pouvoir vous reconnecter à votre corps et à votre respiration et ouvrir les yeux. Bravo !

Remarque :

Après cet exercice, il est possible de ressentir de la fatigue, des douleurs ou encore des sautes d’humeur. Si tout cela arrive, bravo, c’est signe que vous êtes en train de créer des changements en vous. C’est comme ça que votre être fait le ménage. Ce sont des messages qui indiquent que vous évoluez vers d’autres habitudes avec d’autres repères meilleurs pour vous. Donc, tout va bien se passer, rassurez-vous ! Vous n’aurez qu’à accepter et savourer l’état de bien-être qui arrivera ensuite. Vous verrez !